Les cancers des voies aérodigestives supérieures (VADS) touchent la bouche, le pharynx, le larynx, les fosses nasales et les sinus. Le premier paradoxe, c’est que ces tumeurs peuvent débuter sans fanfare : signes discrets, symptômes intermittents ou même absence totale de signe au départ. Ce silence clinique explique en partie pourquoi on découvre souvent ces cancers à un stade déjà avancé. Je vous propose ici un guide clair pour repérer les alertes et comprendre le parcours diagnostique, sans jargon inutile mais avec des repères concrets.
Synthèse :
Je vous le dis sans détour: un signe des VADS qui dure plus de trois semaines, on arrête d’espérer qu’il “passe” et on file chez l’ORL pour gagner du temps au diagnostic.
- Repères d’alerte persistants: dysphagie, dysphonie, lésion buccale qui ne guérit pas, épistaxis ou obstruction nasale unilatérale, masse/ganglion cervical.
- Action rapide: rendez-vous ORL en moins de 15 jours; ne pas se contenter d’antalgiques ou de “repos vocal” si ça traîne.
- Parcours d’exploration: examen clinique, endoscopie avec biopsie pour confirmer, imagerie (scanner/IRM) pour cartographier l’extension.
- Réduire le risque: tabac + alcool > 90 % des cas combinés — chaque diminution compte.
- À garder en tête: l’HPV peut toucher l’oropharynx chez des non-fumeurs; symptômes persistants = bilan.
Signes d’alerte à surveiller
Plusieurs manifestations doivent attirer l’attention. Certaines sont communes à plusieurs localisations, d’autres orientent plutôt vers une région anatomique précise. Si un symptôme persiste au-delà de trois semaines, il faut en parler à un professionnel de santé.
- Dysphagie (gêne ou douleur à la déglutition)
- Dysphonie (modification de la voix)
- Douleurs persistantes, notamment oreille ou gorge
- Lésion buccale ou aphte qui ne guérit pas
- Saignements de nez inhabituels
- Obstruction nasale unilatérale
- Apparition d’une masse ou d’un ganglion cervical
Dysphagie (gêne ou douleur à la déglutition)
La dysphagie se manifeste par une sensation d’obstacle ou une douleur lors de l’ingestion d’aliments ou de liquides. Ce symptôme peut varier de léger à franc blocage, et il s’installe parfois progressivement.
Lorsque la gêne persiste ou s’aggrave, il s’agit d’un signal important. Chez beaucoup de patients, la dysphagie est le témoin d’une atteinte de l’oropharynx ou de la base de la langue, mais elle peut aussi provenir d’une lésion pharyngée ou œsophagienne.
Dysphonie (modification de la voix)
L’enrouement durable ou une altération du timbre vocal qui ne s’améliore pas après quelques semaines mérite une attention. Le larynx, siège de la production vocale, est particulièrement concerné par ce signe.
Un changement de voix associé à une gêne respiratoire ou à une douleur doit conduire à une évaluation ORL rapide. La persistance de la dysphonie malgré des soins locaux (repos vocal, traitement anti-inflammatoire) est un motif fréquent d’orientation spécialisée.
Douleurs persistantes
Un mal de gorge constant ou une douleur irradiant vers l’oreille (otalgie réflexe) peuvent être trompeurs : l’oreille en elle-même n’est pas toujours malade. La douleur récurrente et localisée doit alerter, surtout si elle ne cède pas aux médicaments usuels.
Les douleurs d’apparition récente, qui ne suivent pas un épisode infectieux clair ou qui surviennent de façon unilatérale, augmentent la probabilité d’une lésion locale. Il faut donc évaluer la cavité buccale, le pharynx et le larynx lors de l’examen.
Aphte ou lésion buccale persistante
Une plaie sur la langue, les gencives ou la muqueuse buccale qui ne cicatrise pas en deux à trois semaines impose une exploration. Ces lésions peuvent être indolores au départ, ce qui retarde la consultation.
Les lésions chroniques prennent diverses formes : ulcérations, rougeurs épaissies, ou plaques blanches persistantes. L’examen clinique et parfois la biopsie permettent de trancher entre une lésion bénigne et une lésion maligne.
Saignements de nez inhabituels
Des épistaxis sans cause évidente, répétées ou abondantes, doivent être évaluées. Elles peuvent révéler une atteinte des fosses nasales ou des sinus, voire une tumeur qui fragilise les muqueuses.
La localisation unilatérale des saignements ou l’association à une obstruction nasale augmente la probabilité d’une lésion localisée. Un bilan endoscopique est souvent nécessaire pour visualiser l’origine du saignement.
Obstruction nasale unilatérale
Respirer difficilement par une seule narine, surtout si le symptôme s’installe progressivement, peut être le signe d’une lésion nasale ou sinusale. La sensation d’obstruction qui ne cède pas aux traitements locaux doit conduire à une exploration.
Cette obstruction peut s’accompagner d’une diminution de l’odorat, d’une douleur faciale ou de déformation locale. Ces signes orientent souvent vers une tumeur des fosses nasales ou des sinus.
Apparition d’une masse ou ganglion dans le cou
La découverte d’une « boule » au cou est un motif fréquent de consultation. Un ganglion cervical qui augmente de taille ou qui persiste sans signe d’infection mérite une investigation systématique.
Un ganglion isolé peut être le premier indice d’un cancer des VADS, souvent à distance de la tumeur primitive. L’examen clinique doit préciser la taille, la consistance et la mobilité de la masse.
Symptômes spécifiques selon la localisation
Sinus et fosses nasales
Les atteintes des sinus et des fosses nasales se traduisent par un nez bouché unilatéral, des saignements et parfois une déformation de la région faciale. Ces signes peuvent rester confondus avec une sinusite banale au départ.
Les troubles de l’odorat ou de la vision, lorsqu’ils apparaissent, indiquent une extension locale. L’examen endoscopique et l’imagerie sont essentiels pour préciser l’étendue et planifier la prise en charge.
Cavité buccale et oropharynx
Dans la bouche et l’oropharynx, les signes les plus fréquents sont les plaies qui ne guérissent pas, les masses, l’épaisseur d’une muqueuse ou une gêne à avaler. Ces symptômes touchent souvent les fumeurs ou les personnes consommant de l’alcool, mais pas exclusivement.
Un examen systématique de la cavité buccale lors d’un rendez-vous médical ou dentaire peut dépister des lésions précoces. La biopsie d’une lésion suspecte reste le moyen de confirmer la nature tumorale.

Larynx
Le larynx se manifeste par une dysphonie prolongée et parfois par une gêne respiratoire. L’enrouement est le symptôme le plus évocateur pour une atteinte laryngée.
En cas d’atteinte des cordes vocales, la qualité de la voix change : fatigue vocale, voix rauque, effort pour parler. Une endoscopie laryngée permet de visualiser immédiatement la lésion.
Facteurs de risque
Tabac et alcool
Le tabac et l’alcool sont des facteurs associés à la grande majorité des cancers des VADS. Les études convergent : ces deux expositions sont impliquées dans plus de 90 % des cas combinés, surtout lorsqu’elles sont concomitantes.
La durée et l’intensité de l’exposition augmentent le risque. Réduire ou cesser ces consommations diminue la probabilité d’apparition de nouvelles lésions et améliore les perspectives après un diagnostic.
Infection par HPV
Le papillomavirus humain (HPV) est reconnu comme un facteur de risque important, en particulier pour les cancers de l’oropharynx. Les formes liées au HPV ont des caractéristiques épidémiologiques et pronostiques spécifiques.
La détection d’HPV change l’approche diagnostique et thérapeutique dans certains cas, et explique l’augmentation de certains cancers de l’oropharynx chez des personnes sans antécédent de tabac ou d’alcool.
Diagnostic précoce des cancers des voies aérodigestives supérieures
Importance de l’examen clinique
Un bilan ORL complet est le point de départ devant un symptôme suspect. L’inspection minutieuse de la cavité buccale, du pharynx et du cou révèle souvent des indices directs ou orientant vers des examens complémentaires.
L’examen inclut l’otoscopie, l’inspection endoscopique si nécessaire, et la palpation des aires ganglionnaires cervico-faciales. Ce repérage clinique guide le choix des explorations paracliniques et la rapidité d’orientation.
Orientation rapide vers un spécialiste
En cas de suspicion, l’orientation vers un ORL ou une équipe spécialisée doit se faire rapidement. Les recommandations visent une consultation spécialisée idéalement sous 15 jours pour ne pas différer la prise en charge.
Ce délai permet d’organiser des examens supplémentaires et d’entamer un parcours diagnostique et thérapeutique sans perte de temps, facteur qui peut influencer les résultats.
Endoscopie avec biopsie
L’endoscopie permet de visualiser la lésion et de réaliser une biopsie, qui reste la méthode de référence pour confirmer une tumeur. L’analyse histologique précise le type cellulaire et son agressivité.
La biopsie guide la stratégie thérapeutique. Selon le résultat, l’équipe décidera des traitements locaux, chirurgicaux ou d’une association avec radiothérapie et chimiothérapie.
Imagerie médicale
Le scanner et l’IRM évaluent l’extension locale et régionale de la maladie, et recherchent des métastases ganglionnaires ou à distance. Ces examens sont complémentaires à l’endoscopie et à la biopsie.
Leur rôle est d’aider à la stadification, de planifier la chirurgie si nécessaire et de suivre la réponse au traitement. L’imagerie détermine aussi l’implication osseuse ou l’extension aux structures voisines. Pour plus de détails sur un examen d’imagerie fréquent, voir la radiographie des poumons.
Pour résumer certains signes et examens, voici un tableau comparatif :
| Localisation | Signes principaux | Examens recommandés |
|---|---|---|
| Sinus / Fosses nasales | Nez bouché unilatéral, épistaxis, troubles olfactifs | Endoscopie nasale, scanner, éventuelle biopsie |
| Cavité buccale / Oropharynx | Plaie persistante, gêne à avaler, masse | Inspection ORL, biopsie, IRM pour extension |
| Larynx | Enrouement persistant, dysphonie, gêne respiratoire | Endoscopie laryngée, biopsie, imagerie (CT/IRM) |
| Ganglion cervical | Adénopathie isolée, fixe ou progressive | Échographie, ponction-biopsie, exploration endoscopique |
Retard diagnostique et sensibilisation
Fréquence des diagnostics tardifs
Les symptômes souvent banals des VADS expliquent la fréquence des diagnostics à stade avancé. Mal de gorge, nez bouché ou enrouement sont communs et souvent attribués à des infections ou à l’usure de la voix.
Cette banalisation retarde la consultation. De nombreux patients consultent tardivement, lorsque la douleur s’intensifie, qu’une masse apparaît ou qu’un ganglion devient palpable.
Sensibilisation à la détection des signes d’alerte
Informer la population et les professionnels de santé sur les signes persistants peut améliorer la détection précoce. La vigilance sur la durée des symptômes — au-delà de trois semaines — est un repère simple et efficace.
Encourager les bilans ORL systématiques chez les personnes à risque (consommateurs de tabac et d’alcool, personnes exposées au HPV) aide à repérer des lésions avant qu’elles ne s’étendent. La sensibilisation sauve des vies par la réduction des retards diagnostiques.
Des ressources sur l’expertise médicale peuvent aider professionnels et patients à éviter les pièges courants.
En bref : repérez les signes persistants, ne les laissez pas traîner au-delà de trois semaines, et demandez une évaluation ORL rapide. Votre vigilance et une orientation rapide peuvent changer le cours de la prise en charge.
